« Imaginez un panorama de l’Afrique, du nord au sud, en faisant la mise au point sur le Congo. » C’est en ces quelques mots que le duo Montparnasse Musique résume son aventure, comme une exploration électronique du continent de long en large. Être partout à la fois, c’est un peu le leitmotiv de Nadjib Ben Bella qui, caché derrière le pseudonyme DJ BoulaOne, s’est imposé comme une figure majeure du mouvement hip-hop dans le nord de la France des années 90. Au lendemain de l’an 2000, Nadjib mettait son art du turntablism au service de la musique live, en tournant avec le groupe franco-algérien Gnawa Diffusion ou le DJ Grazzhopa’s DJ Bigband, supergroupe composé de 12 DJs. Plus récemment, il officiait en tant que chef d’orchestre sur la tournée des Amazones d’Afrique, tissant alors un premier lien avec Real World, le label de Peter Gabriel. Depuis son studio de Tourcoing dans la métropole lilloise, le Franco-Algérien nous raconte comment lui et son binôme sud-africain Aero Manyelo ont enfanté ce réjouissant premier album.
Destination Kinshasa
Montparnasse-Bienvenüe, attention à la fermeture des portes. Tout a commencé dans cette station de métro parisienne, où Nadjib a donné rendez-vous à Aero Manyelo à la suite d’un concert du groupe Batuk (dont le sud-africain fait partie), sans savoir que la soirée allait se terminer en jam nocturne improvisée. Difficile d’imaginer que la rencontre de deux univers sur un quai de gare allait faire autant d’étincelles, jusqu’à ce que les premières notes du futur banger « Sukuma » commencent à résonner ce même soir. « C’est le premier morceau qu’on a fait ensemble et ça a confirmé qu’on allait bien s’entendre », se souvient Nadjib. Après 20 ans d’expériences musicales en tous genres, Aero est son premier collaborateur 100% électronique, ce qui n’a pas empêché la naissance de cette relation fusionnelle : « ce que j’ai aimé dans sa vision, c’est qu’il est très musical ; il a écouté beaucoup de soukous dans sa jeunesse avec ses parents à Johannesburg, et c’est une culture qui me passionne ! »
Montparnasse Musique, c’est l’Algérie qui rencontre l’Afrique du Sud pour parler du Congo. Mais pas seulement. « On a fait l’album ici à Tourcoing », explique le nordiste, « au bout de ma rue c’est la Belgique et c’est aussi un élément important ». Avec un peu d’imagination, on peut y déceler des éléments qui caractérisent cette terre de clubbing. « Parfois il y a des trucs qui sonnent comme du Thunderdome (série de compilations hardcore des années 90, ndlr) alors que ça vient de Kinshasa ! » remarque Nadjib, ancien client fidèle des boîtes belges. Leur second EP Origins est d’ailleurs le témoin de cette facette techno que les deux ont voulu expérimenter à huis-clos, sans invités. Ironie du sort ou hasard fait exprès, c’est aussi en Belgique, à Bruxelles, qu’est basé Crammed Discs, le label qui a engendré le projet Congotronics, sous l’impulsion de Michel Winter…
Une épopée rétro futuriste
En s’appuyant sur les fondations de Congotronics, série légendaire consacrée au son traditionnel mutant de Kinshasa, Nadjib et Aero parviennent à convaincre et à embarquer les musiciens dans une aventure encore plus électrique, avec la promesse de « respecter leur travail historique ». Relayées par des membres de Konono n°1, Kasai Allstars et Mbongwana Stars, les vibrations de la capitale de la République Démocratique du Congo se juxtaposent alors à la house contemporaine de Johannesburg et aux puzzles pluriculturels issus de l’imagination de Nadjib. Un pêle-mêle qu’on qualifiera facilement d’afro-futuriste si on aime les raccourcis : « c’est de la musique d’aujourd’hui, mais ça fait travailler l’imagination », nous dit Nadjib quand on lui demande son avis sur la question. Pour appuyer le propos, Montparnasse Musique affiche une forte identité visuelle depuis le premier EP, clippé par le réalisateur Renaud Barret. Le visuel d’Archeology semble quant à lui venu de l’espace : « les photos de Richard Mosse qu’on a utilisées sont assez intemporelles, ça fait un peu voyage sur la Lune ! ».
Autre élément clé de l’univers Montparnasse, ces masques qui « évoquent le côté performer de Kinshasa, cette folie de l’art contemporain qui y règne, sans être folklorique ». Auteur de ces créations, le bricoleur et musicien Cubain Kabeya est aussi à la manœuvre de ces instruments faits à la main qui donnent du cachet au projet, sur disque et en live. Nadjib en confirme le sens : « faire des objets d’art avec des trucs qui viennent de la poubelle, c’est quelque chose qui me tient à cœur dans le processus de création. On est des alchimistes, on n’a pas besoin de grand-chose pour faire ce qu’on aime. »
Le titre Archeology traduit le lien invisible que les artistes ont partagé avec les anciens à travers le projet : « c’est une connexion mystique, on peut la sentir sans même comprendre les textes, c’est très profond », explique Nadjib. « On a voulu rendre hommage aux ancêtres, à ces choses qui nous dépassent. » Comme si un rituel avait lieu sur la piste de danse, Archeology marie à la perfection la spiritualité et l’allégresse, la transe et la culture club, tout en véhiculant des thèmes chers à la région du Kasaï. « On a donné carte blanche aux invités pour les textes et on se rend compte qu’il n’y pas de messages politiques ou négatifs », se réjouit-il. « Ce qui m’intéresse dans la philosophie de Mambuye de Kasai Allstars, c’est de contribuer à enregistrer pour témoigner et conserver leur musique ancestrale. » L’influence des leaders (« Panter », « Malele »), la valeur du travail (« Luendo », « Le Serpent »), la vie en tant que combat (« Bitumba ») ou la célébration de nouveau-nés jumeaux (« Kamoulan ») ; autant de messages d’actualité ou d’un autre temps qui s’élèvent depuis le Nord de la France dans une euphorie électro-acoustique fédératrice !
L’album Archeology est disponible depuis le 21 octobre ici.